Mon métier de danseuse m'oblige, ou plutôt m'offre l'opportunité de voyager souvent et de passer beaucoup de temps dans les trains et dans les gares.
Les gares sont pour moi des lieux de passage, des espaces de travail mais aussi de détente et de rencontre. Des rencontres furtives mais extraordinaires. Les gares sont des fenêtres ouvertes sur le monde. Des scènes de théâtre où nous sommes les acteurs et les actrices d'une pièce qui pourrait s'appeler « aujourd'hui le monde ».
Depuis 12 ans maintenant, c'est sur la ligne Paris Austerlitz-Châteauroux que je passe le plus de temps. Je roule entre ces deux gares et j'observe, je contemple à travers la vitre les paysages qui filent. Je regarde, à toute allure, ce monde tout proche.
J'ai décidé de ne plus me contenter de regarder ces gares depuis mon fauteuil de passagère, mais de descendre du train et de m'attarder dans chacune d'entre elles.
C'est là le point de départ de ce projet.
Qu'est-ce qui fait « l 'en-commun » dans une gare ?
Le voyage, le passage, l'attente, le désir, la joie, parfois l'urgence. Des repères, des codes, des habitudes, des attitudes identiques, mécaniques, des situations solitaires ou collectives. Il y a aussi la peur – se perdre, rater son train ou une correspondance – ou l'excitation – retrouver quelqu'un·e que l'on n'a pas vu depuis longtemps, par exemple. Et la fatigue, la fatigue du voyage, de la routine, de la répétition.
Voyager, c'est aussi se confronter à des temps que l'on ne maîtrise pas forcément : on prend souvent « de l'avance » lorsqu'on va à la gare, ou alors on court, on redoute de ne pas arriver à l'heure.
Il y a donc des temps perdus et des temps morts. Des temps de rien, des temps à soi – pour lire, regarder, écouter, s'enfermer dans ses pensées ou rattraper le temps que l'on n'a pas pris ailleurs.
Pourquoi le projet de danser dans des gares ?
C'est précisément parce qu'elles sont des lieux de passage, de croisements et de rencontres formidables que je souhaite travailler dans les gares. Des centaines de personnes issues de milieux différents, avec des modes de vie différents et, probablement, des façons de penser toutes aussi différentes, y cohabitent chaque jour, quelques minutes, quelques heures ou beaucoup plus.
Les espaces de la gare qui les rassemblent pourraient aussi les rapprocher.
Mais aussi pour le défi de créer une pièce qui devra s'adapter en permanence et trouver sa place dans des espaces mouvants, instables, en constante transformation. Il faudra sentir, écouter, faire corps avec la dynamique et l'architecture de chaque lieu.
Il faudra créer un espace poétique, brouiller les codes et les habitudes de ces lieux de rassemblement anonyme.
Écrire des histoires de gares pour les gares ?
J'ai demandé à l'autrice Violaine Schwartz, avec qui je travaille depuis 10 ans, de m'accompagner dans cette aventure. Nous avons ensemble déjà créé deux pièces mêlant danse et théâtre, L'hippocampe mais l'hipoccampe et Et donc ! une conférence dansée. Violaine a écrit plusieurs romans, mais aussi beaucoup de récits à partir de témoignages et d'interviews. Elle a ce goût, entre autres, d'écrire à partir des mots des autres mais aussi de raconter des histoires à partir de la vie des autres.
Pour s'adapter à la taille des différentes gares qui jalonnent ce parcours, ce projet comportera plusieurs versions, de durée et de format variables, pour deux interprètes et pour cinq interprètes.
Nous nous attarderons dans 19 gares entre Paris et Châteauroux pour regarder et écouter ce qui s'y passe et ceux et celles qui y passent. Nous observerons leurs habitudes, leurs déplacements qui ressemblent parfois à des processions, leurs gestes, parfois automatiques, répétitifs, presque inconscients, comme des rituels. Nous collecterons leurs témoignages, leurs histoires de gare, leurs anecdotes de voyage et à partir de ces expériences et de ces rencontres, nous écrirons, en mots et en mouvements, des « Nouvelles de gare ».
Cécile Loyer